Sans Compromis
FEMINISME
La dernière lettre de Reyhaneh à sa
mère Shole Pakravan
Publié le 27 octobre 2014 par
Sophie B
La lettre
poignante, écrite en avril mais diffusée seulement ce
week-end, a été écrite par Reyhaneh Jabbari, 26 ans, à sa
mère Sholeh Pakravan, qui avait demandé aux juges d’être
pendue à la place de sa fille pour le meurtre de Morteza Abdolali
Sarbandi, un ancien agent de renseignement.
Dans cette dernière
lettre à sa mère, Reyhaneh lui demande de s’assurer que
tous ses organes soient donnés après sa mort.
Les militants ont
déclaré que Pakravan avait été autorisée à voir sa fille
pour la dernière fois pendant seulement une heure la semaine
de son exécution et qu’elle avait été informée de sa mort
imminente par une note, quelques heures avant.
Voici la lettre publiée dans son intégralité, traduite de l’anglais.
De Reyhaneh à sa mère :
Chère Sholeh, aujourd’hui j’ai appris que c’est
à mon tour de faire face à Qisas (la loi du talion dans le système
judiciaire iranien, ndlr). Je suis blessée d’apprendre que tu ne
m’as pas laissé savoir que j’avais atteint la dernière page du
livre de ma vie. Ne penses-tu pas que j’aurais dû savoir? Tu sais
que ta tristesse me rend honteuse. Pourquoi ne m’as tu pas laissé
la chance d’embrasser ta main et celle de papa?
Le monde m’a permis de vivre pendant 19 ans.
Durant cette nuit inquiétante, j’aurais dû être tuée. Mon corps
aurait été jeté dans un coin de la ville, et après quelques
jours, la police t’aurait conduite dans le bureau du médecin
légiste afin d’identifier mon corps et tu aurais appris que
j’avais également été violée. Le meurtrier n’aurait jamais
été retrouvé puisque nous n’avons ni leur richesse ni leur
pouvoir. Tu aurais alors continué ta vie dans la douleur et dans la
honte, et quelques années plus tard tu serais morte de cette
douleur, voilà tout.
Néanmoins, avec ce maudit coup, l’histoire a
changé. Mon corps n’a pas été jeté au loin, mais dans la tombe
de la prison d’Evin et ses cellules d’isolement, et à présent
la prison de Shahr-e Ray, qui ressemble aussi à une tombe. Mais tu
dois céder au destin. Ne te plains pas. Tu sais mieux que moi que la
mort n’est pas la fin de la vie.
Tu m’as appris que l’on vient au monde pour
profiter d’une expérience et apprendre une leçon, et qu’avec
chaque naissance, une responsabilité est placée sur notre épaule.
J’ai appris que parfois l’on doit se battre. Je me souviens quand
tu m’as raconté que l’homme s’est opposé à l’homme
qui me flagellait, mais que ce dernier lui a fouetté la tête et le
visage jusqu’à ce qu’il meure. Tu m’as dit que pour créer de
la valeur, l’on devait persévérer même si un autre mourait.
Tu m’as appris que, puisque nous allons à
l’école, nous devons nous comporter en dame face aux querelles et
aux plaintes. Te souviens-tu à quel point tu insistais sur la façon
dont on se comportait? Ton expérience était incorrecte. Quand cet
incident s’est produit, mes enseignements ne m’ont pas aidé.
Etre présentée à la barre m’a fait passer pour une meurtrière
de sang-froid et une criminelle sans pitié. Je n’ai pas versé une
larme. Je n’ai pas supplié. Je n’ai pas pleuré toutes les
larmes de mon corps car je faisais confiance à la loi.
Mais j’ai été accusée d’être indifférente
au crime. Tu vois, je ne tuais même pas les moustiques et je prenais
les cafards par les antennes pour les jeter un peu plus loin.
Désormais je suis devenue une meurtrière préméditée. Mon
traitement des animaux a été interprété comme ayant un penchant
masculin et le juge n’a même pas pris la peine de regarder les
faits et de voir qu’au moment de l’incident j’avais de longs
ongles vernis.
C’était si optimiste d’attendre de la justice
de la part des juges ! Il ne s’est jamais interrogé sur
le fait que mes mains ne sont pas épaisses comme celles d’une
sportive, en particulier d’une boxeuse. Ce pays que tu m’as fait
chérir n’a jamais voulu de moi et personne ne m’a soutenu quand,
sous les coups des interrogateurs, je criais et j’entendais les
mots les plus vulgaires. Quand j’ai perdu mon dernier signe de
beauté en me rasant les cheveux, j’ai été récompensée :
11 jours en cellule d’isolement.
Chère Sholeh, ne pleure pas pour ce que tu entends.
Le premier jour, au poste de police, quand un vieil agent non marié
m’a brutalisé à cause de mes ongles, j’ai compris que l’on ne
recherche pas la beauté dans cette ère. La beauté des apparences,
la beauté des pensées et des souhaits, une belle écriture, la
beauté des yeux et de la vision, et même la beauté d’une douce
voix.
Ma chère mère, mon idéologie a changé et tu n’en
es pas responsable. Ma lettre est interminable et je l’ai donné à
quelqu’un pour que, lorsque je serai exécutée sans ta présence
et sans ton savoir, elle te sera donnée. Je te laisse ce matériel
écrit en héritage.
Cependant, avant ma mort, je veux quelque chose de toi, que tu dois me fournir avec toute ta force, quelle que soit la manière dont tu l’obtiens. En fait, c’est la seule chose que je veux de ce monde, de ce pays et de toi. Je sais que tu as besoin de temps pour cela.
Je vais donc te raconter une partie de mon vœu dès maintenant. S’il te plaît, ne pleure pas et écoute. Je veux que tu ailles au tribunal et que tu leur fasses part de ma requête. Je ne peux pas écrire une telle lettre qui serait approuvée par le chef de la prison ; alors une fois de plus, tu dois souffrir à cause de moi. Pour cette chose seulement, je t’autorise à supplier, bien que je t’ai dit à maintes reprises de ne pas supplier de me sauver de l’exécution.
Cependant, avant ma mort, je veux quelque chose de toi, que tu dois me fournir avec toute ta force, quelle que soit la manière dont tu l’obtiens. En fait, c’est la seule chose que je veux de ce monde, de ce pays et de toi. Je sais que tu as besoin de temps pour cela.
Je vais donc te raconter une partie de mon vœu dès maintenant. S’il te plaît, ne pleure pas et écoute. Je veux que tu ailles au tribunal et que tu leur fasses part de ma requête. Je ne peux pas écrire une telle lettre qui serait approuvée par le chef de la prison ; alors une fois de plus, tu dois souffrir à cause de moi. Pour cette chose seulement, je t’autorise à supplier, bien que je t’ai dit à maintes reprises de ne pas supplier de me sauver de l’exécution.
Ma tendre mère, chère Sholeh, qui m’est plus
chère que ma propre vie, je ne veux pas pourrir sous terre. Je ne
veux pas que mes yeux ou mon jeune cœur deviennent poussière. Tu
dois les supplier pour que, dès que je serai pendue, mon cœur, mes
reins, mes yeux, mes os et tout ce qui peut être transplanté soit
retiré de mon corps et donné à quelqu’un qui en a besoin. Je ne
veux pas que le receveur connaisse mon nom, ni qu’il m’achète
des fleurs ou même qu’il prie pour moi.
Je te le dis depuis le plus profond de mon cœur :
je ne veux pas d’une tombe où tu viendrais pleurer et souffrir. Je
ne veux pas que tu portes du noir pour moi. Fais de ton mieux pour
oublier mes jours difficiles. Donne-moi au vent, afin qu’il
m’emporte.
Le monde ne nous a pas aimé. Il n’a pas voulu mon
destin. Et à présent, je lui cède et j’embrasse la mort. Car
dans la cour de Dieu, j’accuserai les inspecteurs, j’accuserai
l’inspecteur Shamlou, j’accuserai le juge, et les juges de la
Cour Suprême du pays qui m’ont tabassé quand j’étais éveillée
et n’ont eu cesse de me harceler.
Dans la cour du Créateur, j’accuserai le Docteur
Farvandi, j’accuserai Qassem Shabani et tous ceux qui, par
ignorance ou avec leurs mensonges, m’ont fait du mal et ont piétiné
mes droits et n’ont pas tenu compte du fait que parfois, ce qui
semble être la réalité ne l’est en fait pas du tout.
Ma chère et tendre Sholeh, dans l’autre monde
c’est toi et moi qui sommes les accusatrices et les autres qui sont
les accusés. Nous verrons ce que Dieu désire. Je voulais
t’embrasser jusqu’à ce que je meurs. Je t’aime.
Reyhaneh.